- ABU TAMMAM
- ABU TAMMAMNous ne savons presque rien de la vie d’Ab Tamm m, alors qu’il fut le commensal d’un calife. Grand classique, il s’attire cependant les foudres des maîtres de la critique médiévale qui tiennent son écriture pour le modèle de l’anti-poésie arabe. Ainsi, sa fortune doit autant à son talent, qui fut grand, qu’aux controverses théoriques qu’il provoqua.De Damas à MossoulLes rares sources qui parlent de Ab Tamm m, al- ネab 稜b b.’Aws, le font naître en 804 ou 806 (188/190 de l’hégire) à Dj sim, petit village à quelques lieux de Damas. Sa famille aurait été d’origine byzantine. Son père, chrétien, se serait installé à Damas. Étrange ascendance pour un homme qui arabisa le nom paternel de Thadhus en ’Aws, se rattacha à la tribu des ヘayyi’, et devint un partisan acharné des Arabes du Sud. Ab Tamm m semble avoir passé son enfance à Damas. Il se retrouve au Caire vers l’âge de dix-sept ans. Il gagne sa vie comme porteur d’eau à la grande mosquée dont il suit les cours durant cinq ou six années. Il écrivit son premier poème au Caire et le dédia à un obscur collecteur d’impôts qui ne lui en fut guère reconnaissant. Il est encore en Égypte vers 214/830 après J.-C., puis revient en Syrie. Il fait des séjours en Arménie et à Mossoul. À ネim ル (Homs), il se lie avec le poète D 稜k al-Djinn, que l’on peut considérer comme son maître. Il entame une carrière de panégyriste et arrive peu à peu à pénétrer les milieux de la cour. Il dédie deux poèmes au calife al-Ma’m n, mais le souverain n’aime ni son étalage de bédouinisme ni probablement ses sentiments pro-alides. Par contre, son successeur al-Mu’ta ルim l’apprécie au point d’en faire son commensal. De brillants succès militaires lui valent huit grandes odes dont certaines sont tenues pour les plus importantes qu’ait écrites le poète. Le calife al-W thiq, successeur d’al-Mu’ta ルim, est plus tourné vers les plaisirs que vers les combats. Ab Tamm m ne trouve guère l’occasion d’exercer ses talents de barde de l’héroïsme. Il se consacre à l’éloge de hauts personnages, quitte souvent Bagdad pour séjourner auprès de protecteurs qui entretiennent des cours provinciales. Il finit par obtenir une charge de maître des postes à Mossoul, où il meurt deux ans après, en 231/845 ou 232.Une esthétique de l’efflorescenceAb Tamm m a laissé un recueil de 7 104 vers, quantitativement beaucoup moins important donc que ceux d’al-Bu ムtur 稜 ou d’Ibn ar-R m 稜. Sur 463 poèmes, 204 sont des panégyriques; 132, des poèmes d’amour. Le reste se répartit en satires, thrènes et autres poèmes de circonstance. Mais ce décompte ne rend pas compte de la réalité de l’œuvre. Car c’est l’éloge qui établit la gloire d’Ab Tamm m, et c’est là qu’il élabore son écriture. De ce point de vue, il est un classique: seuls les auteurs de grandes compositions – qa ル 稜da –, célébrant les mérites d’un personnage ou les fastes d’un événement, peuvent consacrer le talent d’un poète. Dans un texte célèbre de son Kit b aš-S face="EU Caron" ク’r wa aš-S face="EU Caron" ズ’ar ’ , Ibn Qutayba, en ce même IIIe/IXe siècle, va jusqu’à énoncer les principes qui régissent l’organisation thématique d’une de ces compositions d’apparat dites de mad 稜 ム (éloge).Ab Tamm m se conforme, en général, aux lois d’un genre imposé par l’évolution du métier de poète et consacré par un discours critique en passe d’imposer définitivement sa loi. Mais, s’il touche par là au classicisme, il entreprend d’y échapper en recourant à une écriture d’une difficulté extrême. Poète de l’insolite, il se met ainsi au service d’une esthétique de l’efflorescence décorative. Le lexique s’alimente au fonds ancien de la langue. Ab Tamm m semble avoir fait des recherches qui lui ont permis de composer des anthologies de poètes anciens, dont sa ネam sa constitue l’ensemble le plus vaste. La partie de ses odes consacrée à la description d’un animal, d’une arme, d’un bijou, ou encore au printemps, aux vents, fait étalage d’un vocabulaire technique qui n’est guère plus maîtrisé de son temps que par quelques spécialistes. Ces moments descriptifs constituent une des phases hautes du poème. La syntaxe y contrevient aux exigences de clarté. La phrase est longue, bourrée d’incises qui accaparent le vers, au mépris des règles classiques sur la hiérarchie des groupes grammaticaux. De nombreuses inversions accroissent le caractère étrange de certaines tournures et font subir un traitement très personnel à certains faits linguistiques. Les tropes, enfin et surtout, envahissent le vers. Figures de style et de pensée, parallélismes phoniques se multiplient jusqu’au baroque. Les ellipses, les métaphores distendues à l’extrême, les comparaisons insolites, les images rendues obscures par excès de subtilité ou d’abstraction, tout fait obstacle au sens. À cela s’ajoutent une symbolique dont on perce mal les secrets et des correspondances de sensations et de perceptions, dont la logique n’apparaît pas toujours clairement.Au moment où se définissent tout à la fois l’usage classique de la langue et la pratique canonique de la poésie, cette œuvre s’oppose à l’idée d’écriture définie par le discours critique. À l’usage immodéré du bad 稜 ’ illustré par notre poète s’oppose la poésie dite du ’am d dont on va chercher les exemples dans le diw n de son jeune contribule al-Bu ムtur 稜. Au IVe/Xe siècle se développe un véritable genre critique, celui des parallèles, qui oppose les deux écritures. La confrontation est au cœur des ouvrages composés par ’Al 稜 al-Djurdj n 稜, al-Marzub n 稜, al-Marz q 稜 et al- mid 稜. Il faut dire que l’enjeu est d’importance: il ne s’agit rien de moins que de régler le problème du sens en poésie. Le discours critique dominant opte pour la clarté contre l’ambiguïté, pour l’efficacité de la communication contre l’exploitation des surprises, pour l’ordonnancement maîtrisé de la langue, contre la recherche hasardeuse de son imaginaire. Il ne faut pas oublier que ces règles régiront la poésie arabe jusqu’au premier tiers du XXe siècle.Mais il ne suffit pas de souligner qu’Ab Tamm m a, par négation, servi à la définition du classicisme. Il faut relire son œuvre en la détachant de ce débat historique. L’investigation qui y est menée sur tous les sites de la langue est déjà impressionnante. Mais, grand artisan du mot, le poète s’est aussi voulu inventeur d’images. Sa métaphore laisse toujours déceler la volonté de capter des significations enfouies au cœur du langage. On se demande même si le procès qui lui a été fait ne vise pas en réalité la prétention du poète de libérer une parole tenue sous surveillance par le clerc.
Encyclopédie Universelle. 2012.